Les E.H.P.A.D., en France, en route vers un nouveau modèle

Publié le 23/04/2024


Les Établissements d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (E.H.P.A.D.) sont au cœur d'enjeux majeurs, récemment exacerbés par la faillite du groupe Medicharme, la crise d’Orpea et la baisse des taux d’occupation. Ces événements ont mis en lumière les défis profonds auxquels le secteur doit faire face et ont déclenché un débat public crucial sur l'avenir de ces établissements vitaux pour notre société.


Profondément secoué, le secteur se trouve à un carrefour, confronté à la nécessité de réinventer son modèle.


Les origines de la crise

  • La pandémie de COVID-19 a durement touché le secteur, entraînant un nombre considérable de décès et une incapacité à accueillir de nouveaux résidents pendant des mois. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le taux de mortalité dans les E.H.P.A.D. a augmenté de 17 % en 2020 par rapport à 2019. Cette crise sanitaire a mis en évidence les failles profondes dans la prise en charge des personnes âgées, mais aussi dans leurs droits les plus fondamentaux d’aller et venir librement ; elle a encore mis en exergue le manque de personnel et les problèmes d'approvisionnement en équipements de protection individuelle. Ces facteurs ont contribué à la propagation du virus parmi les populations les plus vulnérables, qui sont désormais réticentes à rejoindre ces établissements pour leurs soins.

  • La crise d’Orpéa, mise en lumière, le 26 janvier 2022 par le livre-enquête « Les fossoyeurs » de Victor Castanet a révélé dans certains E.H.P.A.D., des maltraitances et de mauvais aiguillages de fonds dédiés aux soins à des fins de rentabilité. Ces pratiques ont endommagé la réputation des résidences, sapé la confiance du public entraînant une désertion croissante de ces établissements, avec des taux d’occupation tombant à 75-80% et avec eux une baisse vertigineuse de la rentabilité.

  • Une crise de financement a suivi. Avec des investisseurs institutionnels et des fonds d’investissement considérant désormais le secteur comme risqué, une volonté de désinvestissement massif s’en est suivie. Le modèle de développement basé sur la vente à la découpe de l'immobilier pour acquérir les autorisations E.H.P.A.D. s’est aussi effondré, les particuliers et institutionnels investisseurs se détournant de ce marché malgré des loyers perçus alléchants et des mesures de défiscalisations intéressantes. Enfin, l’inflation galopante, la hausse des taux d’intérêts d’emprunts a eu raison du système.

  • Les E.H.P.A.D. font également face à des défis économiques croissants, avec des coûts de fonctionnement en hausse et des financements publics insuffisants. Le manque de personnel qualifié et donc la précarisation des soins ont également contribué à la détérioration de la qualité des services. Selon une étude de l'Observatoire national de la fin de vie, 60 % des E.H.P.A.D. déclarent manquer de moyens financiers pour assurer une prise en charge optimale. Cette situation a conduit à une dégradation des conditions de travail du personnel soignant, compromettant la qualité des services.

  • L’ensemble conjugué de ces événements a entraîné Medicharme à la faillite (alors que la société était évaluée à plus de 100 millions d’euros quelques mois auparavant) et avec elle la perte des participations de G Square et de BlackRock mais aussi celles de certains salariés. Orpéa a été repris par la Caisse des Dépôts et des Consignations, Medicharme l’a été à la barre du tribunal par un consortium réunissant, DOMIDEP, JESTIA, SEDNA & EDENIS. La bulle de développement des E.H.P.A.D. a donc explosé et perdure.


Vers un nouveau modèle d'E.H.P.A.D.


Le secteur des E.H.P.A.D. se projette vers un nouveau modèle axé sur plusieurs axes :

  • Bien-être et qualité de vie : priorité est donnée au bien-être des résidents, avec des services diversifiés et personnalisés, des espaces de vie conviviaux et des soins adaptés.

  • Technologie et innovation : selon une étude de Deloitte, l'intégration de la technologie dans les E.H.P.A.D. pourrait réduire les coûts opérationnels de 25 % ; ce n‘est donc pas sans raison que de nouvelles clés apparaissent :
  • Des solutions de soins innovantes : les E.H.P.A.D. du futur proposeront des solutions de soins innovantes, tels que la télémédecine, des dispositifs de surveillance médicale à distance, des robots d'assistance et des outils connectés facilitant la vie quotidienne des résidents (Détection de mouvements et de chutes, bracelets électroniques, piluliers intelligents). 
  • Des plateformes de réalités virtuelles et de réalité augmentée offriront aux résidents des expériences immersives comme des voyages, des séances de relaxations et émotionnelles tout comme des activités ludiques,
  • Des plateformes de communication au moyen de tablettes connectées proposeront aux résidents de maintenir le lien avec leur famille et leurs amis, de visionner des films ou d’écouter de la musique.

  • Interconnexion et transparence : les professionnels médicaux et paramédicaux seront mieux interconnectés pour garantir des soins de qualité, tandis que des mesures de contrôle et de transparence renforcées éviteront tout abus et garantiront la sécurité des résidents.

  • Revalorisation des soignants : une revalorisation des salaires et une meilleure reconnaissance du métier de soignant sont envisagées pour attirer et retenir les professionnels qualifiés. En effet, selon une étude de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), une augmentation de 10 % des salaires du personnel soignant pourrait entraîner une réduction de 15 % du taux de rotation du personnel dans les E.H.P.A.D.

  • Alternatives aux E.H.P.A.D. : des alternatives émergent, telles que les appartements en coliving, les villages séniors offrant des solutions de vie autonome et communautaire pour les personnes âgées tout en préservant leur dignité et leur qualité de vie. Encadrés par un personnel dédié et qualifié au sein d’un S.A.A.D. (Service de Soins à Domicile) et offrant un cadre de vie convivial et sécurisé, les résidents peuvent bénéficier de services et de commodités partagés. Le Co-housing intergénérationnel ou l’accueil familial rassemble, quant à lui, des personnes de différentes générations, dans un même espace de vie, favorise les interactions sociales et l'entraide mutuelle. Les personnes âgées peuvent vivre aux côtés de familles, de jeunes professionnels ou d'étudiants, bénéficiant ainsi d'un soutien social, émotionnel et chaleureux. 

  • Ces solutions sont cependant plus adaptées à des personnes plus autonomes qui ont besoin d’appui et de sécurité ; elles offrent un environnement plus intime et personnalisé que les grandes structures institutionnelles.


    Des perspectives universelles 


    Si les E.H.P.A.D. en France font face à des défis majeurs, ils représentent également une opportunité de transformation pour garantir des soins de qualité, dignes et respectueux des droits fondamentaux des personnes âgées.

    Le secteur s'engage à tirer les leçons de cette crise en développant des solutions innovantes et inclusives, axées sur le bien-être des résidents et la pérennité du système de soins. En investissant dans la technologie, en renforçant la transparence et en valorisant les soignants, la France peut progresser vers un modèle de prise en charge des personnes âgées qui réponde véritablement à leurs besoins et aspirations. Cela ne se fera pas non plus sans moyens humains et financiers importants assumés par l’État ; rappelons que le ratio d’encadrement de chaque résident est de l’ordre de 0,6 ETP en France alors qu’il est du double en Belgique.

    Si les défis auxquels sont confrontés les Établissements d'Hébergement pour Personnes  Âgées Dépendantes en France sont nombreux, il est aussi de notre devoir de réfléchir à notre rôle dans cette évolution cruciale. Chaque individu a le pouvoir d'apporter sa contribution, que ce soit en soutenant les initiatives visant à améliorer les conditions de travail des professionnels de santé, en plaidant en faveur de politiques gouvernementales plus favorables aux E.H.P.A.D., ou même en s'engageant activement dans des initiatives communautaires ou bénévoles visant à offrir un soutien aux personnes âgées.

    Le bien-être des personnes âgées est l'affaire de tous et chacun peut jouer un rôle essentiel dans la création d'un avenir où nos aînés bénéficieront de soins de qualité, de respect et de dignité.